Je me demandais, à partir de quel moment une gravure-tag sur un monument historique passe du statut de détérioration de l'édifice au statut de truc classe à protéger.
Je veux dire, j'imagine ça t'arrive quand tu visites un monument historique, de voir des trucs écris ou gravés sur les murs, des déclarations d'amour ou d'amitié, ou juste une preuve qu'on était là ce jour-là (je me demande si les gens qui écrivent à 15 ou 16 ans leur nom sur le mur d'un monument historique reviennent des années plus tard pour montrer à leurs enfants "ouais t'as vu je suis déjà venu").
Bon en général on trouve que c'est moche, inapproprié, que ça détériore le bâtiment et que c'est de l'irrespect pour les vieilles pierres (m'est avis que les vieilles pierres s'en tamponnent).
Mais, prends la tour de Londres, où y'a eu plein de prisonniers qui sont passés, et qui ont gravés des trucs sur les murs pour passer le temps.
Alors là , tout est sous verre (enfin c'est pas du verre mais on se comprend), avec une petite notice qui t'explique qui a écrit ça et quand, et tout est hyper-cool et tant mieux que les prisonniers aient gravés sur les murs, ça fait des choses à montrer.
En Égypte, dans certains temples, y'a des graffitis des soldats napoléoniens qui sont passés pendant la campagne d'Égypte (logique, tu m'diras), et là pareil ils montrent les graffitis et tout.
Alors si c'est les prisonniers de la tour de Londres ou les soldats de Napoléon, c'est cool. Si c'est un collégien qui visite le monument avec sa classe, c'est pas cool.
Je me demande, est-ce qu'il y a un moment, où le truc passe du statut de détérioration au statut de souvenir ?
C'est un truc qui me déboîte depuis que j'étudie les trucs du patrimoine en cours. C'est l'UNESCO particulièrement qui me déboïte (ils sont déboïtants à l'UNESCO).
Les types, ils décident de protéger un truc, que ce soit un bâtiment, un objet, une coutume ou que sais-je. À partir du moment où ils décident de protéger le truc, on peut plus y toucher. Comme si l'Histoire s'arrêtait hier, et que notre présent n'appartiendrait jamais au passé.
Si tu vois un bâtiment du XVIIIe siècle, et que le propriétaire décide de se faire une véranda en plexiglas, bah il aura carrément pas le droit, si sa baraque est protégée. Si c'est protégé, tu peux rien faire d'autre que ce qui est déjà en place, grosso et modo.
Mais tu connais le château de Blois ? C'est un château du Moyen-âge. Puis à la Renaissance, ils l'ont modifié pour que ce soit au goût du jour, et pareil au XVIIe siècle.
Si tu regardes ce château, c'est vraiment improbable la différence de style entre les différentes parties du bâtiment.
Mais, c'est bien, parce que c'est une clef pour comprendre l'évolution de l'architecture sous l'Ancien régime.
T'imagines si au XVII les types de l'UNESCO ils s'étaient pointés et ils avaient fait à Gaston "non tu construit pas ta nouvelle aile, ça va dénaturer le bâtiment, remballe ta pioche et ta truelle" ?
Alors ça se trouve, dans cinq ou six siècles, les types qui étudient l'histoire se diront, non mais quels débilos ces gens, de rien avoir gardé de leur époque, et comment on fait visiter la maison natale de Philippe Risoli aux pécores (ouais Philippe Risoli sera mondialement connu dans cinq siècles, c'est Elizabeth Teissier qui me l'a appris) ? Et comment on voit les évolutions de l'architecture du XIX au XXIIe siècle ?
Alors, voilà : à quel moment les graffitis sur les monuments historiques passent du statut de détérioration à celui de trace historique ? Et à quel moment le présent passera du statut de détérioration du passé à celui de trace historique ?
(Ha ouais, on réfléchit aujourd'hui.)